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Consultant son plan du navire sans cesser de trotter, Pitt entraîne sans hésiter Lusana à travers un dédale de coursives et de passages sombres, devant des salles froides et humides. Finalement, il s’arrête devant une porte blindée, roule son plan en boule et le jette sur le pont. Lusana s’arrête docilement à son tour et attend une explication.
— Où sommes-nous ? demande-t-il.
— A l’entrée des soutes à munitions.
Pitt pousse de l’épaule la porte qui s’ouvre aux trois quarts en grinçant ; il jette un coup d’œil dans la salle à peine éclairée, et il tend l’oreille. On entend des hommes qui crient sur un fond sonore métallique de lourde machinerie, de grincements de chaînes et du ronronnement de moteurs électriques. Le bruit semble provenir du pont immédiatement au-dessus de leur tête. Pitt franchit prudemment le seuil.
Les longs obus de rupture sont dressés en bon ordre près du puits du monte-charge ; leurs ogives brillent d’un éclat menaçant à la lueur de deux ampoules jaunes. Pitt passe devant les projectiles et regarde par la cage du monte-charge.
Là-haut, deux Noirs pèsent sur les portes qui ouvrent sur le puits ; ils jurent en cognant à coups de marteau sur la benne de chargement. Les explosions qui ont secoué le navire ont bloqué le mécanisme. Pitt laisse le puits pour passer en revue les obus. Il y en a trente et un au total et un seul à tête ronde. La seconde ogive de M.S. n’est pas là.
Pitt détache une trousse à outils de sa ceinture et donne la lampe à Lusana
— Eclairez-moi pendant que je travaille.
— Qu’allez-vous faire ?
— Désarmer un obus.
— Si je dois être réduit en poussière, fait Lusana, j’aimerais autant savoir pourquoi.
— Non, se contente de répondre Pitt.
Il se courbe et réclame la lumière. Ses mains entourent la tête du projectile avec la délicatesse d’un cambrioleur qui cherche la combinaison d’un coffre-fort. Il repère les vis de fermeture et les démonte. Leur filetage est grippé par l’âge et les vis protestent à chaque tour. Pourvu que j’aie le temps, souffle Pitt avec anxiété. Il faut absolument qu’il ait fini avant que les hommes de Fawkes aient réparé le monte-charge et qu’ils ne reviennent à leur poste dans la soute à munitions.
Soudain, sans crier gare, la dernière vis cède et l’ogive de l’obus lui reste dans la main. Délicatement, comme s’il portait un bébé endormi, Pitt la pose près de lui et il en examine l’intérieur.
Il commence par débrancher la charge explosive qui doit fracturer l’ogive et libérer les cartouches qui contiennent le micro-organisme. C’est un travail qui n’a rien de sorcier ni de particulièrement dangereux. Pour respecter la théorie qui énonce que l’abus de concentration fait trembler les mains, Pitt sifflote entre ses dents, fort heureux que Lusana ne l’accable pas de questions.
Il coupe maintenant les fils de l’altimètre radar et démonte le détonateur. Là, il s’arrête un instant pour tirer de la poche de son blouson un sac de toile. Et Lusana rit intérieurement en lisant sur la toile sale « Wheaton Security Bank ».
— Je ne l’ai jamais avoué à personne au monde, dit-il, mais j’ai dévalisé un jour une camionnette de banque.
— Alors ce sac doit vous rappeler de bons souvenirs, lui répond simplement Pitt en sortant les charges de M.S. pour les déposer doucement dans le sac de la banque.
— Voilà une méthode drôlement astucieuse pour faire de la contrebande, remarque Lusana avec un sourire pincé. De quoi s’agit-il ? Héroïne ou diamants ?
— Je serais très heureux de le savoir moi-même, dit Patrick Fawkes en se baissant pour passer sous la porte de la soute.